mardi 31 janvier 2012

Quelques vies bien remplies

Hier soir, sur sa belle terrasse de Parque Chas, Danielle – qui a le même rythme que nous: deux mois de cours de français en Suisse et le reste en Argentine – nous parlait de son besoin de rentabiliser au mieux toutes ses plages de liberté.

Comme on voit toujours tellement plus clair chez les autres qu'en soi, les récits de ses journées m'ont renvoyé à tous ces gros livres en piles autour de mon fauteuil, ces livres qui remplissent mes matins et mes après-midis vu que mes mains continuent à se faire prier. Tout ce beau temps libre, c'est ce qu'on se dit au fond de soi, il faudrait quand même le mériter.

Faire, comme si l'action mettait la mort un peu plus loin, comme si, une fois que la mort sera là, on pensait pouvoir finalement se dire: "Ah, quelle vie bien remplie j'ai eue!" Mais, bien sûr, il y a peu de chances qu'on en soit tout à fait convaincu...

Ce qu'il y a de bien avec les réincarnations, c'est qu'on a plusieurs essais – "Game over? Participez de nouveau!" –: tout ce qu'on peut entreprendre devient à la fois moins primordial et moins tragique. À la place de cette vie à "remplir", il y a des expériences qui se font – de temps en temps des sagesses qu'on en tire – et rebelote ad libitum jusqu'à ce qu'on cesse de vouloir être soi et qu'on accepte enfin de se dissoudre dans cette lumière blanche qui s'est présentée à chacune de nos morts, cette lumière à laquelle on a systématiquement tourné le dos, tellement persuadés qu'il restait encore tant de choses intéressantes à faire sur terre, tant de choses capitales susceptibles de remplir encore quelques vies de plus.