jeudi 26 janvier 2012

Se faire cadeau de deux tickets de métro

En sortant du subte D à la station de Olleros, je vois deux femmes d'une cinquantaine d'années arriver en courant et faire le tour des guichets pour voir si les queues étaient aussi longues à ceux de devant qu'à ceux de derrière – pas de bol: s'il n'y pas de queues à ceux de derrière, c'est parce qu'ils sont fermés.

Comme elles ont l'air vraiment pressées, je leur propose de les faire passer avec ma carte magnétique et je continue mon chemin pendant que la deuxième femme, depuis l'autre côté du tourniquet, me crie d'attendre pour qu'elle me rembourse les deux trajets de métro.

Un des grands classiques de Gustavo, pendant les discussions d'introduction au bouddhisme du mardi soir, c'est l'exercice dit des 100 pesos – ou 100 francs ou 100 dollars ou 100 ce qu'on voudra. Techniquement parlant, c'est d'une simplicité évangélique: on passe au bancomat retirer un gros billet, on le donne à la première personne qui demande l'aumône – "Vous avez de la chance, ce n'est pas ce qui manque par ici..." – et on part en courant sans attendre un éventuel merci.

– Mais si la personne se drogue, si elle boit cet argent?

– Ce n'est plus votre argent, mais le sien.

– Si je choisis tel mendiant plutôt que tel autre parce que sa tête me revient mieux?

– Faites.

– Si je le fais parce que c'est un exercice que vous avez recommandé de faire?

– Faites.

– Et si... et si... et si...

– Faites, et vous verrez ce qui arrive. Si vous ne ressentez rien, passez au bancomat suivant et retirez 300 pesos. Le bouddhisme, c'est de la pratique, pas de la théorie.

Alors les essais se succèdent – avec des billets, avec des pièces – et, petit à petit, les gens semblent spontanément plus généreux, plus accueillants, moins prêts à me voler tout ce que j'ai. Mais le moment est encore loin de me sentir absolument convaincu que c'est "comme prendre un billet avec ma main gauche et le donner à ma main droite", que "donner à l'autre, c'est me donner à moi-même parce que nous ne sommes qu'un seul être".

Bien sûr, ce qui compte, c'est ce qui se passe en moi, ce que ce petit geste – rien de plus simple à donner, d'un point de vue pragmatique, qu'un peu d'argent... – m'aide à comprendre sur la manière dont fonctionne le monde et sur ma manière de le voir fonctionner, comment ce geste peut m'aider à changer des habitudes bien ancrées, à faire évoluer les réflexes qu'elles conditionnent: c'est "mon argent", qu'est-ce que ça veut dire exactement?

Le stade d'après: ne plus écrire ce genre de petites aventures sur son blog. Celui d'après: ne plus écrire de blog. Celui d'après: ne plus écrire. Celui d'après: écrire ce genre de petites aventures sur son blog sans se poser toutes ces questions, en se contentant de suivre une intuition aussi fluide que celle qui m'a poussé à simplifier la vie de ces dames en leur proposant de prendre le métro avec "ma" carte.