lundi 27 février 2012

Tu pourrais me traverser?

Au carrefour de Díaz Vélez et d'Ambrosetti, une voix me tire de mes sombres et circulaires ruminations:

– Eh! Jeune homme! Tu pourrais me traverser?

– Pardon?

– Oui, tu pourrais m'aider à traverser?

– Mais... Naturellement!

Je joins le geste à la parole et je tends le bras à ce vieux monsieur en training appuyé sur sa canne.

– Tu viens d'où, toi?

– De Suisse.

– Oh, Switzerland! What a nice country! Do you like Argentina?

– Yes, a lot, I'm living here for five years.

– Oh great: I lived in Europe for one month!

– Euh... Je crois que le feu vient de passer au vert.

– Your spanish is perfect!

– I'm here for five years...

On se met à traverser Díaz Vélez à tout petits pas, nos mains serrées l'une dans l'autre.

– I know Genova, Trieste... Thank you for your help!

– Do you go far away?

– No, just here: I have to eat something!

J'étais sorti faire quelques pas pour continuer plus à mon aise cette engueulade intérieure avec mon cher Leveratto – je sais pas vous, mais moi, je m'engueule toujours mieux avec les gens quand je marche – et la vie, sacrée coquine, me met dans les pattes un autre vieux monsieur qui, lui, me demande un coup de main.

En laissant mon compagnon de traversée à la terrasse du Kentucky, pizzas monumentales, double ration de fromage – ce qui n'est pas peu dire quand on connaît les pizzas argentines... –, je continue mon chemin l'esprit absolument clair et disponible au monde: même ce petit sac en train de flotter entre les canards du Parque Centenario a quelque chose d'attendrissant, comme s'il me faisait un petit signe, coucou, coucou, avec son anse retournée par le vent.