jeudi 26 avril 2012

Zen, mais pas trop

Un maître zen débarque, par hasard, à la causette du mardi: il a vu de la lumière et il est monté parce qu'il pensait que le resto était ouvert. Du coup, Gustavo – pardon, Aoki sensei – lui propose de répondre à nos questions sur son école, c'est pas tous les jours qu'on a un maître zen dans un temple de jodoshinshu, et en profite pour lui demander, entre collègues, s'il serait pas d'accord de s'occuper de la méditation après la pause.

On oublie les belles rangées comme au cinoche devant l'autel et tout le monde s'assied face au mur, pas dans cette posture cruelle du seiza, à genoux, qu'on a mis tant de mois à vaguement apprivoiser, non, mais en demi-lotus, comme ça, pour voir, les fesses bien calées sur un zafu. Mais c'est que ça se met à durer, ce petit échantillon de zen, à durer, passablement plus que les quinze minutes habituelles du mardi soir, et je commence à me découvrir des muscles et des ligaments dont je n'aurais jamais soupçonné l'existence.

Matin après matin, avant le petit-déj, mes genoux ont développé leur pendule à eux: un quart d'heure, une demie-heure, trois quarts d'heure, une heure, mais là, j'ai l'impression qu'il faut tout recommencer. Au bout d'un certain temps, réciter le Juseige dans le secret de mon coeur, une syllabe par respiration, ne suffit plus à faire taire le chapelet des délicieuses douleurs – c'est dans ma tête, tout est dans ma tête: ne pas m'accrocher à ces putain de petits nuages qui ne font que passer sur l'écran de mon esprit! –, alors je me dis que ça commence à bien faire et je me mets à compter tout ce qui me passe sous la main, par exemple les coups qui sonnent à l'église d'à côté: dix heures, ça serait un bon moment pour arrêter, non?

Quand il nous libère enfin de notre mur après quarante minutes, le maître de passage demande à Gustavo si on a bel et bien l'habitude de faire du zazen. Quand notre cher sensei lui répond que oui, mais pas trop longtemps, en précisant que c'est toujours bien d'avoir des surprises dans la vie, tout le monde éclate de rire avant d'entonner le mantra en choeur, avec un bel entrain légèrement teinté de hargne.