mardi 1 mai 2012

Petit cours de conduite au cimetière

Quel meilleur endroit qu'un cimetière, tellement grand qu'on y entre en voiture et qu'on peut y prendre un bus pour arriver auprès de son défunt, un cimetière rempli de mausolées prétentieux dont la plupart sont laissés à l'abandon, leurs portails grinçant dans les bourrasques d'automne, les cercueils de leurs familles autrefois pleines aux as empilés en sous-sol et recouverts de bouts de vitraux et de porcelaine – on s'attendrait presque à voir sortir une main, cliquetis des bagues autour des vieux os, pour faire de jolis petits tas, histoire, au moins, de sauver les apparences –, quel meilleur endroit, je vous le demande, que ce cimetière de Chacarita pour faire cette bonne heure de marche destinée à vanter auprès de Crevette, en s'appuyant, il est vrai, tout particulièrement sur les arguments imparables de la gravité, les charmes de ce monde qui l'attend les bras ouverts?

Afin de ne pas réduire à néant tous ces beaux efforts, encore faudrait-il ne pas se faire écraser par cette jeune conductrice en train de maltraiter la voiture de son amoureux en se donnant toutes les peines du monde pour saisir – mais, de nouveau, quel meilleur endroit qu'un grand cimetière pour ça, surtout un lundi décrété jour férié pour cause de veille de premier mai? – la psychologie complexe de ce couple, susceptible s'il en est, formé par la pédale d'embrayage et son grand amour inavoué, sauvage, imprévisible, rauque et sensuel, ce beau voyou que la vie lui a donné pour éternel voisin, j'ai nommé, vous vous en étiez douté: l'accélérateur.