mardi 12 juin 2012

"Merci d'être née"

Ces deux messieurs japonais à genoux sur le parquet devant la statue de Bouddha au coin du salon, ces messieurs qui chantaient tellement fort que tu savais pas trop si tu devais pleurer ou pas, ces messieurs, tu sais, c'est des maîtres, des sensei, des moines qui ont été dans une école spéciale pour apprendre à parler du bouddhisme, pour expliquer aux autres gens ce que Bouddha voulait dire quand il parlait à tous ceux qui se réunissaient autour de lui, en Inde, il y a très très longtemps.

Celui qui est à genoux juste devant l'autel, c'est Aoki sensei, ce monsieur qu'on appelle aussi Gustavo et qui est venu de te voir à la clinique quand tu avais à peine deux jours. Quand je l'ai rencontré, ça m'a fait pareil que quand tu es née, ça a changé ma vie: je ne voyais pas très bien autour de moi et il m'a expliqué comment je pouvais me frotter les yeux pour voir un peu mieux.

Celui qui est à genoux sur le côté et qui te jette un coup d'oeil de temps en temps dans le reflet de la vitre, c'est Okamoto sensei. Il est venu en Argentine depuis le Japon exprès pour venir faire une conférence de trois jours sur les Myokonin, ces gens qui ont atteint la paix spirituelle, ces gens qui se sentent comme quand tu as pris tout le lait que tu voulais du sein de maman, que tu as fait caca, que tu n’as pas froid, que tu n’as pas mal au ventre et que tu sais que tu va pouvoir t'endormir quand tu veux, mais eux, tu vois, ils sentent ça tout le temps, à chaque moment de leur vie.

Okamoto sensei est quelqu'un de très occupé, il voyage tellement à travers le Japon qu'il a une grande voiture pleine de livres, une vraie bibliothèque avec des roues. Gustavo l'a rencontré il y a six mois quand il est allé chanter avec un musicien qui jouait du piano électronique et un autre qui jouait de la guitare. Un soir, après un concert, Okamoto sensei a dit que si le groupe du Furaibo avait pu venir jusqu'au Japon, il ne voyait pas pourquoi, lui, il ne pourrait pas aller jusqu'en Argentine.

Si tu n'as pas pleuré quand les messieurs chantaient très fort, c'est parce que tu me regardais droit dans les yeux et que tu as bien compris que si j'étais à genoux moi aussi et que je te tenais là, couchée dans mes bras, que si je chantais la même chose aussi fort que les deux messieurs et qu'en plus maman venait se mettre à genoux à côté de nous pour nous accompagner avec sa jolie voix de maman, ça devait pas être si grave que ça.

Maintenant que Okamoto sensei te tient dans ses bras, je peux te dire que ce monsieur très doux au visage de chat, ce monsieur qui m'a demandé à la fin de la conférence s'il pouvait venir te rencontrer, eh bien, Gustavo pense que c'est sans doute un des prochains Grands Maîtres de notre école au Japon, celle du Jodo-Shinshu. C'est vrai que quand tu écoutes parler Okamoto sensei, même si des fois il utilise des mots tellement simples que c'est une peu difficile à comprendre, c'est comme s'il te racontait des histoires que tu savais déjà mais que tu avais oubliées.

Ce tableau avec des mots en japonais que tu peux voir, très chère Lucie, sur notre bibliothèque derrière Okamoto sensei, c'est un texte qu'il a peint spécialement pour maman et pour toi. D'un côté, c'est écrit que maman te dit "Merci d'être née". De l'autre côté, c'est écrit que tu dis à maman "Merci de m'avoir permis de naître".