dimanche 1 juillet 2012

Anna

Une femme est partie du Bar Tabac en laissant ses deux valises, une écharpe et un foulard. Jusque-là, ça va, mais elle a aussi laissé son alliance sur une table et une chaussure sous une autre.

En fait, elle était juste enfermée dans les toilettes, enfin, pas enfermée, parce qu'on lui a dit de tourner le truc dans un sens, mais, en fait, c'était déjà ouvert, alors ça fait qu'elle a fermé au lieu d'ouvrir, mais non! Elle est pas malade! Ces yeux tout jaunes et ces bras maigres qu'elle gratte tout le temps, c'est parce qu'on lui a greffé le foie d'un mort!

Son coma, elle aurait pu s'en sortir toute seule, parce ce qu'ils ont fait, sa religion – elle est orthodoxe – ça le permet pas. À l'hôpital, déjà, elle arrivait pas à soulever son verre d'eau qui pesait une tonne alors on lui a donné un canard, un verre avec un petit bec qu'on peut mettre dans la bouche, mais c'était pas beaucoup plus simple.

Elle est rapidement arrivée à marcher cinquante mètres, vingt-cinq de plus que la dernière fois et même les marches entre les étages, ces marches qui avaient l'air aussi hautes que des montagnes, elle a commencé à aimer ça! Mais non, elle est pas malade! Ses jambes toutes gonflées, c'est à cause de la chaleur, c'est d'ailleurs pour ça qu'elle a deux chaussures différentes, la sandale rouge qu'elle a au pied et l'autre qu'elle avait oubliée sous la table – c'est vrai, ça? –, cette basket noire que Mehmet était allé la récupérer en tirant presque pas la gueule.

Vous savez, je vais souvent au Mont-Pèlerin, chez les bouddhistes tibétains. Ils m'ont dit que je devais être avec des gens joyeux, des gens comme moi, des gens qui aiment la vie, et puis ils m'ont dit que je devais me reposer beaucoup et faire très attention à ce que je mangeais. Tout le monde me dit que j'ai l'air malade, mais ça va, c'est juste quand je suis un peu stressée.

Moi c'est Pierre et elle c'est Anna, elle a des origines de Hongrie et, d'ailleurs, elle va aller acheter une petite saucisse spéciale dans un magasin de la Palud, mais c'est déjà passé cinq heures alors, vu qu'on est samedi, ça doit déjà être fermé, mais on est vendredi, alors c'est bon, vous êtes la deuxième personne qui me dit aujourd'hui qu'on est vendredi: si vous devez y aller, je vais y aller aussi.

Ah non, le patron veut pas que je laisse mes affaires ici? Bon, bin je vais les amener à la consigne à la gare, mais non, mais non, vous inquiétez pas, ça va aller: vous croyez quand même pas qu'elles sont venues toutes seules, les valises!