vendredi 31 août 2012

Garder le moment à l'oeil

Une note, de 2010:

"Prendre donc la question dans l'autre sens: partir du moment sans jamais s'en éloigner trop, voir comment il peut être coloré, comment il peut être analysé, mais toujours en le gardant à l'oeil, toujours en le tenant par la main. Ce n'est ni le souvenir en soi ni l'analyse en soi qui sont mauvais, c'est leur séparation d'avec le moment qui leur a donné naissance, c'est leur abstraction."

jeudi 30 août 2012

Un simple frôlement de manche

Je croise souvent la Paraguayenne qui travaille dans la boulangerie sur le chemin de la piscine, Marcos, le guitariste qui nous avait accompagnés pour une milonga il y a quelques années, joue à présent les vendredis soir au Furaibo, Mariana m'annonce qu'elle travaille maintenant avec Ary et qu'ils se sont mis à parler de nous parce qu'ils ont vu, en attendant le bus, une affiche avec le prénom Bertrand:

– C'est drôle, on connaît un Bertrand.

– Moi aussi, un type à moitié Français, à moitié Africain...

– C'est lui! Camerounais. Il va au temple bouddhiste près de la place de Mai.

– Le Furaibo?

– Mais oui! Et puis... un couple de Suisses, ils y sont presque tout le temps, ça te dit quelque chose?

Au Japon, on dit que pour qu'il y ait un simple frôlement de manche entre deux personnes dans une foule, il faut qu'il y ait eu au moins cent vies de proximité. Alors, quand on se met à parler d'amitié, voire d'amour...

mercredi 29 août 2012

Le monde selon l'amibe

– L'amibe, ça vous dit quelque chose? Tout premier cours de biologie, école primaire...

– C'est l'animal de base, le plus simple...

– Quelle mémoire! Et l'amibe, alors, elle fait quoi de sa journée?

– Elle se balade?

– Oui. Mais encore?

– Elle drague?

– Pas besoin. Elle se reproduit toute seule.

– Elle mange?

– Elle mange, c'est ça, elle mange! Et notre chère amibe, comment est-ce qu'elle voit le monde? Elle sépare les choses entre quoi et quoi?

– Entre ce qui se mange et ce qui se mange pas.

– Absolument! On dirait même qu'il y en a qui réfléchissent par ici! Pour le bouddhisme, l'homme n'a pas beaucoup évolué depuis l'amibe, il met juste des mots plus compliqués pour emballer sa réalité: justice, amour, démocratie, écologie, paix dans le monde... Mais, tout ça, ça peut se résumer à une opposition du même genre que celle de notre amie l'amibe: ça me convient, ça me convient pas. Si vous êtes assez honnêtes avec vous-mêmes, vous verrez que vous aussi – mais si mais si! – vous pensez comme ça. Toujours. Systématiquement.

– Et si ça me convient pas?

mardi 28 août 2012

Une confiance qui repose sur elle-même

Une note, de 2007:

"Cette confiance qui doit pouvoir ne reposer sur rien, à part elle-même."

lundi 27 août 2012

Mon avis prend les mêmes armes

Une note, de 2010:

"Mon avis est contaminé par ce sur quoi il porte, mon avis est coloré par ce qu'il dénonce, il prend les mêmes armes que ce qu'il dénonce."

dimanche 26 août 2012

Lucie a deux pieds

Cette semaine, Lucie a découvert qu'elle avait des pieds, deux, pour être plus précis. Le seul problème, c'est que ces fichus pieds ont une fâcheuse tendance à s'éloigner brusquement dès que notre chère petite essaie de s'en emparer, et ceci même si elle déploie tous les stratagèmes imaginables pour les prendre par surprise.

Une des parades, pour autant que Lucie soit assise sur mon torse et que je sois couché dans l'herbe du jardin, consiste à s'agripper à mes poils – quitte à en arracher une ou deux poignées – et à se pencher en avant vers ce lieu où ces pieds tout nouveaux viennent se perdre dans les profondeurs poivre et sel – surtout poivre, pour l'instant, mais les responsabilités nouvelles de la paternité sont en train d'inverser la tendance – de ma barbichette.

Encore faut-il que je n'en profite pas pour passer ma grosse langue sous ces petons intrigants, initiative surprenante propre à déclencher immédiatement un éclat de rire aux modulations nouvelles dont les courbures intonatives plongeraient à coup sûr notre cher Yves dans une douce extase phonologique.

– Mais si, écoute bien, elle reprend la mélodie de la fin de ta phrase! C'est dingue!

samedi 25 août 2012

Sur mon lit de mort

Une note, de 2009:

"Quelles sont les choses que je vais regretter de ne pas avoir faites sur mon lit de mort – ces choses qui me feront revenir?"

vendredi 24 août 2012

Mille cent dollars le mètre carré

Trois notes, de 2007:

"Les mots se défont avant que je les écrive.

Papa a pu lire ma lettre avant de mourir.

Le prix du m2 à Caballito est de 1100 $."

jeudi 23 août 2012

Celui qui ne désire pas

– Florencia t'a donné la petite fiche? Tu sais de quelle dent tu dois t'occuper?

– T'inquiète pas, j'ai tout ce qu'il faut. Mais toi, t'es d'où?

– De Caballito, le quartier de mon enfance!

– Ah oui?

– Non, c'est pour rire... De Suisse.

– Je me disais bien que c'était pas un petit accent de Caballito... Ça te plaît, l'Argentine?

– Oui, beaucoup!

– Et qu'est-ce que ça a de mieux que la Suisse?

– L'énergie, je crois. Là-bas, ils ont tout, mais ils sont pas heureux, et comme ils ont tout, ils peuvent même pas se dire que c'est parce qu'il leur manque quelque chose...

– Ici, ils peuvent au moins croire que c'est parce qu'ils ont pas ce qu'ils veulent qu'ils sont malheureux et que, s'ils l'avaient, alors là oui, ils seraient heureux!

– On dit que ce n'est pas celui qui a qui est heureux, mais celui qui ne désire pas...

– Mais... sans désir, je crois qu'on n’arrive même pas à apprécier ce qu'on a. Enfin bref. On philosophera une autre fois! Une signature ici s'il te plaît.

mercredi 22 août 2012

Soyez avec moi, jeune homme!

En voyant ce beau coucher de soleil sur le Léman depuis l’autoroute, j’ai repensé à cette insuffisance du rapport au monde dont parlait François et je me suis dit que non, décidément, l’écriture n’allait plus me servir à la combler. Savoir que je vais essayer d’écrire le moment que je suis en train de vivre dans l’idée de le vivre de manière plus pleine et plus entière est certainement un des meilleurs moyens pour ne jamais vivre ce moment-là, ni dans son présent ni dans le présent de son écriture.

Quand j’avais interviewé Serge Merlin dans son appartement parisien rempli de plantes vertes et de vieux miroirs piqués – une autre chambre avait soi-disant abrité jusqu’à peu une bonne centaine d’oiseaux, mais il ne me l’avait pas montrée –, l’acteur m’avait non seulement interdit de l’enregistrer, mais, après deux bonnes heures de causette – sa rencontre avec Beckett, sa rencontre avec Camus, Amélie Poulain, le minimalisme dans l’occupation de la scène – arrosées au whisky de 20 ans d’âge, pour moi, et au thé vert, pour lui, il m’avait regardé en ouvrant très grand les yeux:

– Soyez avec moi, jeune homme! Posez ce carnet!

Quand j’étais sorti de chez lui une heure plus tard, j’avais pris un café au bistrot du coin pour pouvoir soulager ma vessie malmenée et j’avais sauté dans mon TGV pour Lausanne au moment où ses portes se fermaient. Sans attendre une seconde, j’avais ouvert mon MacBook dans l’idée de mettre noir sur blanc ces paroles définitives avant qu’elles ne disparaissent à jamais dans des brumes imprécises, mais mes doigts s’étaient obstinément refusés à composer le moindre mot ressemblant de près ou de loin à du français.

L’article, pourtant, s’était écrit tout seul, le lendemain, et c’est sans aucun doute un de ceux que j’aurais le plus de plaisir à relire.

mardi 21 août 2012

Le regard du lecteur

Une note, de 2007:

"Laisser le lecteur faire une partie du décryptage, c’est l’obliger à poser son regard sur moi plus longtemps – peut-être trop."

lundi 20 août 2012

Je suis le pire être qui existe

– Quand nous nous rendons compte que nous sommes les pires êtres qui existent, que je suis le pire être qui existe, quand nous voyons notre ombre, nous nous rendons compte de l'immense lumière qui projette cette ombre, cette lumière qui permet de la voir.

dimanche 19 août 2012

Pas besoin d'un autre langage

Une note, de 2010:

"Le simple fait d'essayer de décrire l'arôme du café est une preuve qu'on ne saurait parler d'échec à le décrire: il y a au contraire début de réussite qu'on ne sait pas reconnaître comme telle. Wittgenstein veut nous faire sentir que ces sentiments de frustration sont extrêmement dangereux, non seulement parce qu'ils nous envoient à la chasse aux chimères, mais parce qu'en nous y envoyant ils nous aveuglent sur la valeur de notre langage et les multiples ressources de la variété des jeux de langage: encore une fois, Wittgenstein nous montre que l'idéal ne sert qu'à nous aveugler sur l'ordinaire, nous empêche de voir ce qui est pourtant étalé sous nos yeux." Christiane Chauviré, "Voir le visible".

"Cette idée qu'il n'y a pas besoin d'autre langage que celui qui existe, qu'il n'y a pas autre chose qui pourrait être dit avec d'autres mots, que ce que je peux dire suffit, que ce que je peux dire n'est pas là à la place d'autre chose. Grand allègement de voir que ce qui est vaut aussi pour le langage, de pouvoir aussi appliquer cette acceptation de ce qui est à la manière de parler de ce qui est."

samedi 18 août 2012

L'ouverture ne peut venir que de moi

Une note, de 2009:

"Le monde peut m’aider à être présent à lui, mais l’ouverture, elle, ne peut venir que de moi."

vendredi 17 août 2012

Entre les pierres et les racines

– Vivre, c'est se tromper. Si on ne se trompe pas, on ne peut pas se rendre compte de qui on est, en se trompant, on se met à trouver le sens de notre vie. Bien qu'il y ait des arbres et des pierres, l'eau circule entre les pierres et entre les racines, elle continue son chemin. Si l'eau pensait "Cette pierre m'embête, cette racine m'embête, sans cette pierre, sans cette racine, je passerais mieux", cette eau serait une eau morte. Mais vu que c'est une eau vivante, elle va passer en se cognant contre les pierres et contre les racines. Notre vie est comme ça et de là surgissent des paroles pleines de vie, des paroles pleines de fierté. Quand nous allons plus loin que le bien et le mal, plus loin que ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas, on peut trouver des paroles pleines de vie.

jeudi 16 août 2012

Sur la ligne du Gothard

Sur la ligne du Gotthard, je regarde Carancho de Trapero sur mon MacBook Pro (j'aurais décidément dû parler du Gottardo).
Les rues de Buenos Aires défilent dans la vitre et se mélangent avec les montagnes parsemées de prés et de vaches, avec les lacs paisibles et tortueux.
Peu importe où, bis, peut-être ter, peut-être plus (quater, me dit Wikipedia).

mercredi 15 août 2012

Une mort à tout le reste

Une note, de 2010:

"Bien sûr, les gens vont mourir, les gens vont vieillir et mourir après, moi aussi. Mais cet exercice de présence est aussi une mort au passé, une mort au futur. Je renonce à tout pour être dans le moment que je vis. La vie ne peut être vécue de l'intérieur qu'au prix d'une mort à tout le reste, une mort douce, simple, sans drame, une mort dans le cours des choses.

C'est ma volonté de vivre qui me fait souffrir, ma volonté de collectionner les moments de ma vie, de les rassembler, de les amplifier, de pouvoir aller puiser un petit peu dans le passé, un petit peu dans le futur, pour remplir ce présent dont je ne sais pas toujours quoi faire, que je ne sais pas toujours très bien comment habiter."

mardi 14 août 2012

Entre deux rangées de peupliers

La scène se déroule entre le bord du lac et l'arrêt Dorigny du bus 30, le long d'une allée de gravier entre deux rangées de peupliers. Je rentre à l'uni après une jolie balade avec Lucie au milieu des odeurs de grillades et de crème solaire.

– Pardon, excusez-moi... Vous êtes prof au Cours de vacances, non?

– Euh... oui.

– Il ou elle a quel âge?

– Elle. Lucie. Elle a trois mois.

– Vous avez donné l'atelier radio, n'est-ce pas?

– Tout à fait. La poussette, là, on dirait qu'elle en a marre: hop, cradzouillette, en mis brazos! Vous avez suivi d'autres séries?

– Oui, les trois. Je peux la pousser si vous voulez.

– Merci, c'est très gentil. C'est vrai qu'avec un bras, c'est pas pratique... Vous venez d'où, de quel pays?

– D'Allemagne, mais je travaille à Zürich. Vous n’avez pas quelque chose pour lui mettre sur la tête?

– Voilà, ça devrait faire l'affaire. Dans la vie, vous faites quoi? Je veux dire: quel est votre métier?

– Je travaille dans une maison d'édition: Rotpunktverlag.

– Ah oui? Ça m'intéresse beaucoup parce que, justement, je suis écrivain et je...

Etc, etc.

lundi 13 août 2012

Irène

En début d'après-midi, j'avais reçu un mail avec une invitation pour une conférence au sujet de la vente des droits d'auteurs pour les traductions à l'étranger, conférence qui avait lieu deux heures plus tard: ah, l'organisation argentine! Comme je n'avais rien de plus pressant à faire que lire et écrire, je m'étais dit que pourquoi pas.
Irène s'était assise à quelques chaises sur ma droite dans cette salle peu remplie et, quand elle avait laissé tomber la fourre de son Natel, je la lui avais tendue aussitôt: elle m'avait remercié en français parce qu'elle avait bien vu que j'étais en pleine Prose du Transsiberien.
Au milieu de la conférence, elle avait rangé ses clics et ses claques et s'était dirigée vers la porte et moi, je m'étais dit que, celle-là, non, je n'allais pas la laisser partir, pas parce que je fantasme particulièrement sur les femmes mûres, non, du tout, mais une petite voix très convaincante me disait qu'il fallait que je la rattrape avant qu'elle ait sauté dans un taxi.
Arrivé aux ascenseurs, personne. J'étais à quelques mètres derrière elle au moment où elle avait passé la porte, elle ne pouvait pas être bien loin. Sans doute aux toilettes. Oui. Du bruit aux toilettes. L'attendre derrière la porte ferait mauvais genre, alors j'avais reculé de quelques pas jusqu'au milieu du hall. Quand elle était sortie, je lui avais fait mon plus beau sourire:
– Bonjour, Pierre Fankhauser. J'ai traduit Veneno qui va être publié l'année prochaine chez Zoé, en Suisse.
Elle m'avait regardé pour de bon par-dessus ses petites lunettes rondes, elle avait marqué un temps et m'avait lancé, avec un grand soupir de femme d'affaire terriblement occupée:
– Ah! C'est vous...
Il se trouvait qu'Irène était agente littéraire et que Planeta lui avait justement demandé, quel heureux hasard, de négocier les droits du roman d'Ariel avec Zoé. Du coup, aurait-elle quelques livres à me faire traduire?
– Oui, naturellement, il faut qu'on se voie. Mais là, j'ai vraiment pas le temps: je vais à un concert. Envoyez-moi un mail et on essaie de se voir la semaine prochaine.
J'avais insisté pour marcher encore quelques mètres à ses côtés sur le trottoir de l'avenue Belgrano avant de lui faire un petit signe de la main, ému, au moment où elle s'était engouffrée dans son taxi jaune et noir.

dimanche 12 août 2012

Know who you are

Une note, de 2010:

"Les petites maisons bricolées en rentrant de Florencio Varela, ces rideaux dans ces fenêtres ouvertes dans les murs de briques à nu. Ces cours vides, ces pièces qui avaient l'air vides, ces gens qui vivaient là.

Avoir la possibilité de choisir est une grande chance, chaque choix est une possibilité de progrès. On ne peut pas changer son karma, mais on peut changer les circonstances qui sont les nôtres en choisissant les personnes qui nous entourent, les choses qu'on fait, les lieux où on va, les pensées qu'on a.

Avoir la possibilité de choisir est une grande chance, avoir la possibilité de choisir est une grande responsabilité. Know who you are, me dit Supertramp."

samedi 11 août 2012

L'observateur de l'observateur

Pendant notre séance de travail avec Nico et Christian sur la terrasse du Mozart, j'ai senti que je n'étais plus l'observateur, mais l'observateur de l'observateur: je n'étais plus en train d'observer et d'évaluer ce qui arrivait, mais d'observer et d'évaluer, au fur et à mesure, ma manière d'observer et d'évaluer.

Tout en discutant d'activités langagières, de productions initiales et de perspective actionnelle dans l'enseignement du français comme langue étrangère, je passais en revue – en parallèle, sans que ça dérange en quoi que ce soit notre échange – mes catégories, mes critères, mes préjugés au sujet de mes deux collègues et de cette synthèse pédagogique à laquelle on essayait tant bien que mal de donner forme.

Je me suis rendu compte après coup que j'étais en train de suivre spontanément les conseils de Maharaj sur l'observation de l'observateur, sur l'observation de ce chercheur qui est lui-même ce qui est recherché, cette observation qui peut mener, pour autant qu'on s'y livre avec assez de détermination, de persévérance et de franchise, au vrai regard sur le monde, sur le monde tel qu'il est, plus tel que j'aimerais qu'il soit.

vendredi 10 août 2012

C'est mon anniversaire

Une note, de 2007:

"Aujourd’hui, c’est mon anniversaire – papa, dans un souffle:

– Il y a des hauts et des bas, je pense beaucoup à toi.

Et le téléphone qui se remet à sonner comme s’il n’avait pas décroché."

L'entier du paysage est en toi

– Tu as encore le regard tendu vers les montagnes de l'horizon, mais l'entier du paysage est en toi.

mercredi 8 août 2012

Le sens de la vie se fait

Une note, de 2010:

"Tout à l'heure, en parlant avec Celia du quoi faire de sa vie, je me disais qu'il n'y avait peut-être justement pas de réponse à apporter, qu'il s'agissait de vivre et pas de définir ce qui pourrait se vivre. C'est d'une certaine manière la recherche de ce qui serait à vivre qui se place en travers de la vie elle-même: il suffit de vivre et le sens de la vie se fait, le sens de la vie apparaît."

mardi 7 août 2012

J'ai assis la beauté sur mes genoux

– C'est une radio, ça?

– Oui oui! Et en plus, elle marche! T'as qu'à tourner ce bouton et puis...

"J'ai assis la beauté sur mes genoux et je l'ai trouvée amère."

Clic.

– Eh ben... On va dire que c'est la phrase du soir!

lundi 6 août 2012

Dans l'intimité de son argent

Une note, de 2009:

"Aujourd’hui, dans la file du bancomat, il y avait un petit vieux tout tremblant qui me faisait penser à papa avec ses cheveux coiffés sur le côté. Il se battait avec la machine avec ses mains qui ne faisaient pas ce qu’il voulait, il se battait encore et encore et moi, je me disais que je pourrais peut-être lui donner un petit coup de main, mais je n’osais pas entrer dans l’intimité de son argent.

Quand je suis arrivé à la machine d’à côté, il m’a demandé d’une petite voix mélodieuse ce qu’il pouvait bien faire parce que la machine ne voulait pas lui imprimer le résumé de son compte. Je lui ai dit que je ne pouvais vraiment pas l’aider et qu’il fallait qu’il demande à l’employé à côté. Il est sorti et moi, je n’ai pas su l’aider de la seule manière qui lui aurait été utile à ce moment-là."

dimanche 5 août 2012

On aurait été cet autre

À la fin d'un film autour de son périple à travers l'Inde et la Chine jusqu'à Lhassa, Alexandra David-Néel, la vieille exploratrice de 100 ans, explique avec un grand sourire qu'il ne sert pas à grand-chose de s'imaginer des vies alternatives: si on avait vécu notre vie autrement, on n'aurait pas été nous-mêmes, on aurait été cet autre qui a vécu cette vie-là.

samedi 4 août 2012

Les conditions du calme

Une note, de 2010:

"D'abord, cette image en me réveillant, cette image peu précise de moi en train de lire un livre à la couverture blanche de Minuit dans une ambiance d'hiver industriel anglais années soixante. Je sentais du calme avec cette image et j'ai senti que le calme était en moi et pas dans l'image, que ce n'était pas en cherchant les conditions du calme que j'allais trouver le calme, mais que c'était en le laissant apparaître en moi, en le laissant se faire connaître en moi."

vendredi 3 août 2012

Suisse-Argentine 1-0

Les deux messieurs qui jouaient au tennis à la télé pendant qu'on attendait pour te faire ton passeport – le deuxième, celui rouge à croix blanche –, il y en a un qui est suisse, il s'appelle Federer, et puis un qui est argentin, il s'appelle Del Potro. Ce match, c'était très important, parce que c'était les demi-finales des Jeux olympiques de Londres et qu'un monsieur a dit à la radio ce matin que ce qui comptait, c'était plus seulement de participer, mais c'était surtout de gagner, parce que la Suisse avait vraiment besoin d'avoir au moins une médaille.
Avec maman, on a trouvé rigolo que ce soit justement ce match-là qui passe dans la salle d'attente, peut-être parce qu'on n'arrêtait pas de comparer avec la première fois qu'on t'a fait un passeport, à la Comuna 10 de Flores. Maman s'est même amusée à expliquer au monsieur qui t'a pris la photo – tu te souviens, c'est quand tu étais couchée sur la couverture qui sentait pas très bon dans la grande boîte noire avec des petites lumières partout – comment on faisait pour prendre la photo à Buenos Aires, juste avec toi sur ses genoux et un papier blanc derrière ta tête pour faire le fond...
Quand je suis arrivé à la maison pour souper, Papou a dit que le monsieur suisse avait gagné mais que ça avait pas été facile, qu'il avait dû jouer très longtemps et qu'il avait presque perdu.

jeudi 2 août 2012

Le lieu du monde le plus éloigné

– Quel est le lieu du monde le plus éloigné? Mon dos. Je peux très bien voir les erreurs de l'autre, mais ce que je peux le moins voir, c'est mon visage.

mercredi 1 août 2012

La naissance et la mort

L'autre matin, dans le TSOL entre Renens et Dorigny, grosse bouffée de tristesse en pensant à cette césarienne pas nécessaire. Avant de me mettre à l'écrire pour de bon, je fais un petit tour du côté du Furaibo où j'étais passé chercher conseil quelques jours après l'accouchement.

– Mais, Monsieur Pierre, vous savez, la naissance, c'est comme la mort, c'est compliqué: ça peut vite devenir dangereux de vouloir coûte que coûte que ça ait lieu de telle ou telle manière, il suffit de pas grand-chose pour passer d'un côté ou de l'autre... Il y a tellement de paramètres en jeu: l'obstétricienne en vacances, la sage-femme malade, les bouchons, les manifestations... On ne peut pas tout contrôler et on a intérêt à profiter de ce qui est: votre femme et votre fille vont bien, à quoi bon se faire du mal avec ce qui aurait pu se passer autrement?