lundi 13 août 2012

Irène

En début d'après-midi, j'avais reçu un mail avec une invitation pour une conférence au sujet de la vente des droits d'auteurs pour les traductions à l'étranger, conférence qui avait lieu deux heures plus tard: ah, l'organisation argentine! Comme je n'avais rien de plus pressant à faire que lire et écrire, je m'étais dit que pourquoi pas.
Irène s'était assise à quelques chaises sur ma droite dans cette salle peu remplie et, quand elle avait laissé tomber la fourre de son Natel, je la lui avais tendue aussitôt: elle m'avait remercié en français parce qu'elle avait bien vu que j'étais en pleine Prose du Transsiberien.
Au milieu de la conférence, elle avait rangé ses clics et ses claques et s'était dirigée vers la porte et moi, je m'étais dit que, celle-là, non, je n'allais pas la laisser partir, pas parce que je fantasme particulièrement sur les femmes mûres, non, du tout, mais une petite voix très convaincante me disait qu'il fallait que je la rattrape avant qu'elle ait sauté dans un taxi.
Arrivé aux ascenseurs, personne. J'étais à quelques mètres derrière elle au moment où elle avait passé la porte, elle ne pouvait pas être bien loin. Sans doute aux toilettes. Oui. Du bruit aux toilettes. L'attendre derrière la porte ferait mauvais genre, alors j'avais reculé de quelques pas jusqu'au milieu du hall. Quand elle était sortie, je lui avais fait mon plus beau sourire:
– Bonjour, Pierre Fankhauser. J'ai traduit Veneno qui va être publié l'année prochaine chez Zoé, en Suisse.
Elle m'avait regardé pour de bon par-dessus ses petites lunettes rondes, elle avait marqué un temps et m'avait lancé, avec un grand soupir de femme d'affaire terriblement occupée:
– Ah! C'est vous...
Il se trouvait qu'Irène était agente littéraire et que Planeta lui avait justement demandé, quel heureux hasard, de négocier les droits du roman d'Ariel avec Zoé. Du coup, aurait-elle quelques livres à me faire traduire?
– Oui, naturellement, il faut qu'on se voie. Mais là, j'ai vraiment pas le temps: je vais à un concert. Envoyez-moi un mail et on essaie de se voir la semaine prochaine.
J'avais insisté pour marcher encore quelques mètres à ses côtés sur le trottoir de l'avenue Belgrano avant de lui faire un petit signe de la main, ému, au moment où elle s'était engouffrée dans son taxi jaune et noir.