mercredi 19 décembre 2012

A la chasse aux Pringles

Le seul moment où j’ai failli m’énerver, c’est quand la fille du Duty Free m’a dit que, non, vraiment, désolée, elle pouvait pas me vendre ce paquet de Pringles parce que j’étais pas sur un avion qui arrivait, mais, bêtement, sur un avion qui n’était pas parti.

– Mais j’attends nos bagages depuis presque deux heures et j’ai faim!

– Alors tu peux sortir t’acheter quelque chose dans le hall.

– Puisque je te dis que je suis en train d’attendre nos bagages!

Le McBidule que j’avais pris presque douze heures plus tôt – c’est vrai, ça, ça faisait déjà douze heures! – ne me tenait plus vraiment au ventre et la perspective d’attendre je sais pas combien de temps un bus qui allait nous amener dans un hôtel au centre-ville – il avait intérêt à être sacrément luxueux, cet hôtel! –, ça me mettait franchement l’estomac dans les talons.

Après divers aller et retour devant la Duty Free à la recherche d’une stratégie pour me rassasier, je me suis dit que j’allais demander à un autre client d’acheter ce paquet de Pringles tant convoité en lui promettant de le rembourser, non, en lui payant d’avance à peine un peu plus, en pesos, ou même en dollars s’il voulait, en fait non: 3 dollars 25, j’aurai pas la monnaie...

C’est à ce moment-là qu’un esclandre a éclaté à une autre caisse: trois retraitées suisses-allemandes, munies chacune de leur tube de Pringles, faisaient l’amère expérience de l’implacable refus administratif.

– But: we are hungrrry!

Elles ont tellement insisté que la caissière, nettement plus sympa – et nettement plus jolie – que celle qui m’avait servi, a fini, après quelques mots échangés avec son collègue, par céder.

– Pero, es un cuatro por tres. Pagan por tres y se llevan cuatro.

– What?

Après avoir tenté de leur expliquer avec mon allemand récalcitrant qu’elles pouvaient en embarquer quatre pour le prix de trois, des tubes de Pringles, je me suis dépêché, pile au moment où la caissière encaissait leurs pesos en marmonnant que si elles voulaient seulement en prendre trois, elles pouvaient seulement en prendre trois, je me suis dépêché, donc, de glisser mon tube de Pringles à moi dans le sac en plastique blanc des énergiques Suisses-Allemandes. Je leur ai fait un grand sourire, je leur ai dit merci, je leur ai filé une pièce de cinq francs et j’ai embarqué notre souper familial.

Quand je suis sorti de Duty Free, une des filles de la sécurité, justement celle que j’avais imaginé, dans un de mes scénarios, prendre à témoin que j’avais bien payé le tube de Pringles que je projetais d’acheter de force en posant 20 pesos sur le comptoir de ma grosse caissière despotique, cette fille de la sécurité, elle a dû me trouver un peu louche en train de louvoyer avec mon tube de Pringles à proximité des caisses alors elle a appelé la caissière, la deuxième, la jolie et sympa, pour voir de quoi il en retournait.

– Mais non, pas de problème!

Alors, quand le chauffeur du bus, presque deux heures plus tard – c’est-à-dire vers une heure et demie du matin – nous a dit qu’il allait être obligé de nous poser à deux blocs de l’Intercontinental parce que les rues étaient bloquées à cause d’un mégaconcert organisé par notre Cristina de présidente – du pain! des jeux! –, quand je lui ai demandé comment on allait faire avec nos cinq valises et notre poussette, même quand un des vingt flics en train de se tourner les pouces accoudés aux barrières m’a ri au nez quand je lui ai demandé un petit coup de main, eh bien, du coup, ça m’a laissé de marbre.