vendredi 5 avril 2013

Un million de mantras – jour 10

Nuit de merde. Les choses se passent de cette manière pour une raison, elles arrivent de la meilleure manière possible: les choses se passent de cette manière pour une raison, elles arrivent de la meilleure manière possible: les choses se passent de cette manière pour une raison, elles arrivent de la meilleure manière possible. Nuit de merde quand même.

Je suis arrivé pile pour la soirée pizzas: ça s’annonçait plutôt bien. J’aurais dû me douter de quelque chose quand Gustavo a dit que ça allait se terminer le dimanche matin vers les 9 heures avec célébration de la naissance de Bouddha, nettoyage du dojo et pizzas.

– Mais là, au rythme où on va, ça tend plutôt vers le samedi, non?

– Eh bien ça sera dimanche: on fixe la fin de la pratique et comme ça c’est réglé. Et puis, si c’est nécessaire, on a qu’à reculer une bille rouge...

Une fois que les autres sont sortis de table, Patricia s’approche de moi avec un drôle d’air:

– Tu sais, j’ai lu ton blog et je voulais te dire que tu étais une personne très respectueuse et puis... Tu vas me manquer!

Elle fond en larmes et on se prend dans les bras.

– Tu as reçu notre invitation pour le 14?

– Oui oui, je serai là.

– L’idée c’est de faire une petite cérémonie en remerciement pour tout ce qu’on a vécu ici pendant ces six ans et puis après un petit thé, c’est tout. Allez, on va faire quelques mantras?

En entrant dans le dojo, je jette un œil au boulier pour voir où on en est. Je regarde une deuxième fois, Marina est juste devant, je vois pas bien, je compte et je recompte: il reste bel et bien six boules rouges: 700’000. On en était presque là quand je suis parti douze heures plus tôt... Est-ce que quelqu’un a tout simplement OUBLIÉ de passer la cinquième bille? Non non non, c’est certainement notre cher Sensei qui a déjà mis en place sa stratégie de contrôle du timing. Le premier soir, il se plaignait de devoir aller à toute vitesse à cause des autres maîtres qui étaient trop lents, mais là, il doit avoir changé d’avis...

Pourtant c’est l’ambiance des grands soirs dans le dojo. Sumyori Sensei s’en donne à cœur joie et on est plus proche de ce Brésil où il a émigré que de ce Japon d’où il vient. Tout le monde danse les bras en l’air et psalmodie le mantra façon Woodstock, mais j’ai de la peine à vraiment me réjouir, encore meurtri par la terrible injustice de ces comptes trafiqués. Patricia me propose de me mettre au taiko et je finis par aller me coucher après quelques tours de samba qui ont eu raison de mes dernières énergies. Il est minuit.

Minuit trente, quelqu’un s’assied sur mes tibias dans la pénombre au fond du dortoir.

– Oups... Mais c’est qu’il y a quelqu’un ici...

Merci Marina.

Je sors du salon oriental avant d’étrangler cette femme un peu tête en l’air mais d’une douceur désarmante et je vais me prendre un verre de Coca. Nora m’explique le fin fond de l’affaire de la boule rouge: au milieu de l’après-midi, ils ne savaient plus dans quel sens pousser les billes parce que le petit papier avec la flèche était tombé. Alors le Sensei est arrivé, il a poussé toutes les boules noires à droite et il a reculé une boule rouge.

– J’ai toujours dit que c’était une connerie, cette histoire de petit papier...

Mais la bonne nouvelle, c’est qu’ils se sont mis à compter depuis en haut comme on en avait l’habitude: le tableau ne vient pas d’être commencé, il est presque fini. Ouf! On devrait toucher les 750’000 – les trois quarts! – pendant notre tour à nous.

Quand Gustavo entre en scène pour venir nous relayer, Martín et moi, il se met à chanter une très belle version du mantra que je ne connaissais pas, très belle mais très lente... On doit être plus près des dix secondes par mantra! À cinq heures, tout sauf disponible à sa belle voix retrouvée, je déclare forfait et je vais me coucher.

– Allez! Nora, pars pas sans moi! Reviens!

Sept heures trente, c’est ce que me dit le Natel que j’ai sorti la poche de mon samue posé à côté de mon lit bricolé avec des coussins sur les tatamis. Je retombe d’un bloc.

– Putain...

Martín, il pourrait pas fermer sa gueule dans le dortoir, non? Obligé de faire le clown jusqu’ici!

Bien sûr, pas possible de me rendormir alors je fais faire quelques mantras pas très enthousiastes avec Taiki San et je finis par paqueter mes affaires, prêt à affronter les éclats de rire d’une petite Lucie toute pleine d’énergie. Faites des mantras qu’y disaient...