mercredi 3 avril 2013

Un million de mantras – jour 8

En parallèle avec la pratique des mantras, il y a l’autre pratique, tout aussi riche à sa manière, de la cafétéria. Sur les deux tables au fond du coin bar, il y a toujours des plats de bonnes choses tièdes ou froides, des belles pommes rouges, des biscuits amenés par les participants, des bonbons pour la gorge et même une grosse boîte d’Ovomaltine venue en ligne directe de la Coop de la Gottaz. C’est en général autour des victuailles que se tissent les échanges, plus ou moins métaphysiques, à toutes les heures du jour et de la nuit.

Juste avant de partir après mon tour entre dix heures et midi, je m’assieds un moment avec Nora, Martín et Patricia en grande discussion autour de la question de l’autorité. Martín est en train développer une grande théorie sur ce que devrait être, selon lui, le rapport à l’autorité bien compris:

– Pour moi, c’est un jeu. Je fais celui qui y croit mais, au fond, j’y crois pas vraiment. L’important, c’est pas l’étiquette qu’on nous donne, c’est d’être soi-même.

Nora écoute, Patricia lui répond en commençant chaque intervention une variation autour de "comme a dit le Sensei".

– Mais arrête de parler du Sensei! Dis quelque chose qui vient de toi!

En me donnant de la peine pour ne pas trop monter les tours, je rajoute mon grain de sel:

– Écoute-la un peu! Elle est en train de te parler d’elle, là. C’est sa manière de te parler d’elle!

Martín continue sur son idée:

– Allez, dis quelque chose qui vient naturellement de toi, qui vient de celle que tu es vraiment!

Je sens que je suis trop crevé pour argumenter sereinement, alors je me lève et je vais chercher mes affaires dans le salon oriental.

– Bye bye tout le monde, à ce soir!

Après, bien entendu, pendant une bonne partie de la journée, je me demande comment j’aurais pu continuer autrement qu’en distribuant avec la meilleure volonté du monde un certain nombre de conseils aussi pertinents qu’inutiles, ces mêmes conseils dont je sais de mieux en mieux, dans le meilleur des cas juste avant d’ouvrir la bouche, qu’ils me sont toujours destinés personnellement. J’aurais peut-être pu continuer à écouter, simplement, et apprendre de ce que ça mettait en mouvement au fond de moi.