samedi 5 octobre 2013

Le Bleu Lézard

Une note, de 2004:

"Le Bleu Lézard, tout un programme. Pourquoi ne pas commencer par sa clientèle (la trentaine, un livre à la main, voire deux) ou alors l’une de ses serveuses (courbes filant entre les tables dans la géographie précise des clients qu’il est possible de frôler (parfois de manière appuyée) et de ceux qu’il est préférable de garder à distance, une table ou plus) ou encore sa déco (toute la patine du vieux bar de quartier agrémentée d’un design pointilliste matérialisé en particulier par des lampes halogènes minuscules pendues devant le crépi d’un moiré crémeux), voire sa cave (endroit à la fois sombre et surexposé de lumières aux couleurs saturées, nombre ridicule de mètres cubes que se disputent âprement les décibels, les blocs de fumée et l’humidité des corps compressée par les murs de briques noires sur lesquels elle dégouline faute de pouvoir les déplacer), mais peut-être vaudrait-il mieux concentrer son attention sur ce couple attablé dans un coin, couple qui ne semble pas avoir grand-chose à se dire et qui semble, tous comptes faits, des plus empruntés.

La représentation textuelle de ce silence pesant pourrait prendre la forme d’un tiret suivi de points de suspension, tiret sous lequel pourrait aisément prendre place un autre pourvu de points de suspension similaires, manœuvre qui pourrait se répéter sans problème au long de plusieurs pages suivant l’importance accordée par l’auteur au poids du silence en question. Cette représentation d’une absence de communication pourrait naturellement prendre bien d’autres formes encore, formes qu’il aurait été certainement instructif de détailler si la femme du couple silencieux n’avait pas choisi d’éclater en larmes à cet instant précis. Les métaphores visant à décrire ces sanglots affluent dans une quantité proportionnelle à la vigueur peu commune de ce débit lacrymal: on ne retiendra ici – pour son aspect parlant plus que pour son originalité, on l’aura compris – que sa comparaison avec les célèbres chutes du Niagara. Peu de changement pour l’homme si ce n’est, peut-être, dans la nature de sa gène, changement qualitatif particulièrement difficile à discerner de visu. Tout un programme."