jeudi 16 octobre 2014

Un peu de pipi et un peu de souffle

Pendant tout le trajet jusqu'à l'hôpital d'Aubonne, j'ai vu les lumières orange de l'autre côté du lac qu'elle ne verrait plus, j'ai senti les odeurs de la nuit sur les champs qu'elle ne sentirait plus, je me suis souvenu de la main que j'avais posé sur sa cuisse la dernière fois qu'on avait fait ce trajet ensemble.

Quand je suis arrivé, Dellon vivait encore et maman lui tenait la main sous la couverture. Toujours la même respiration compliquée, qui s'arrête, qui repart, qui racle, la bouche noire grande ouverte, un peu tordue.

- C'est chouette que tu sois revenu, mais, tu sais, ça lui prend de l'énergie qu'on soit là. Moi, je vais rentrer: j'appellerai demain matin. Fais attention de ne pas prendre froid.

Dans les toilettes de la chambre, j'ai trouvé un grand linge blanc que j'ai plié en quatre et que j'ai posé juste à côté du lit. Quand je me suis agenouillé pour méditer et peut-être pour entonner tout doucement quelques sutras, j'ai vu que j'étais assis juste à côté de la poche de sa sonde urinaire.

La poche était presque vide, juste un peu de jaune foncé, presque brun, tout au fond. Alors je me suis dit que c'était ce qui restait de la vie: un peu de pipi et un peu de souffle, comme au tout début, pendant les premières nuits de Lucie et d'Ineo.