jeudi 29 janvier 2015

Une chambre en Sicile

Une note, de 1998:

"Toute la pièce est comme déséquilibrée vers l’arrière; elle semble s’accrocher au reste de ce dernier étage de pension modeste, à l’abri du vertige promis par les deux balcons (fins barreaux de fer légèrement penchés vers le large, barreaux qui se ravisent au dernier moment et rejoignent la rambarde dans un chorus agile d’épingles à cheveux, l’air de rien) donnant sur les toits ocre en escaliers (forêt décharnée d’antennes et de paraboles) et, pour l’un d’entre eux, sur la mer.

La salle de bain, construite à l’intérieur de la chambre dans une espèce de container en briques, envahit d’autant plus le regard que son plafond se situe un bon mètre en dessous de celui qui l’abrite, en dessous des anges de stuc égrainés le long d’une moulure elliptique, en dessous de cette imagerie calme et niaise dont elle rompt violemment l’harmonie; l’intimité de l’hygiène est semble-t-il à ce prix.

Restent la vue, la brise de fin d’après-midi et la lumière sur le point d’être propice à la description du grain des surfaces, de la qualité des ombres portées tout comme de cette ville nouvelle qui se dessine un instant sur ce qui pourrait passer pour les ruines de l’ancienne, ville éphémère et de plus en plus étendue qui marie les ocres, puis les ocres et les anthracites, puis les anthracites, puis les nuances mouvantes d’un granit indolent, puis langoureux, puis lymphatique, puis à peine agité par un sommeil aux rêves lisses.

Les deux lits de métal à la fois grinçants, courts et étroits, sont placés – grâce au nouveau mur de la salle de bains recouvert d’une tapisserie insipide mais neuve, ironie architecturale – juste sous l’ellipse aux angelots, mais également face au jour décliné, c’est-à-dire à celui qui ne manquera pas de réveiller les écroulés à travers les persiennes disjointes, dans quelques heures.

L’eau coule à flot dans le bunker, rebondit sur l’émail entre le turquoise du dentifrice et l’or mousseux des derniers besoins du jour: quelques secondes d’agitation précise avant l’extinction des feux. Alors on peut voir les parallèles approximatives des lamelles de bois, pas très longtemps."