mardi 2 février 2016

De l'air mis en forme

Une note, de 1999:

"- Je n'ai pas envie d'entendre parler de toi.

Je raccroche. Je rappelle.

- En fait si.

Tout est dans le en fait si. En fait. Si. Pas oui. Si. Par delà ma haine je prends acte de ton appel et je réponds. Pas possible d'aligner deux mots. Pas possible. Bout de plastique dans ma main. Bout de plastique téléphonique. Bout de plastique qui parle. Et qui écoute. Bout de plastique entre les distances. Contre mon oreille. Ma joue. Vibrer de nouveau. Pouvoir vibrer. Être disponible jusqu'au bout à cette vibration.

Elle a eu de la peine à me dire ce qu'elle avait sur le coeur (plus de peine que moi en tout cas). Cette respiration (la mienne) qui ne sait plus s'arrêter. Besoin de prendre l'air du dehors. Tout l'air.

- Respire!

Tout l'air du dehors. Et rentrer. Et m'asseoir en face d'elle. De nouveau. Et m'asseoir de nouveau en face d'elle.

La respiration qui ne s'arrête pas. Qui ne sait pas s'arrêter. Qui ne veut pas s'arrêter. Ne plus me faire entendre qu'à travers ma respiration. Les mots sont pauvres à côté de la respiration. La respiration est là à la place des mots.

Les mots de la respiration ne sont formés ni par la langue ni par les dents. De l'air qui sort du corps. Rien de plus. De l'air qui sort du corps et qui n'a pas été mis en forme par lui. Donc pas mis en forme par la pensée. Qui n'a donc pas besoin d'être reçu par la pensée.

La respiration: de l'air pas mis en forme. Les mots: de l'air mis en forme. Les mots sont de l'air mis en forme. De la respiration mise en forme. La respiration vient avant les mots. C'est elle qui les pousse hors du corps. C'est elle qui les véhicule.

Cette respiration qui ne veut plus s'arrêter, c'est un véhicule brut. Placé avant le sens. C'est tout le sens qui sort avec cet air.

L'air, la respiration: le sens avant le sens. Après. Tout autour.

Rien d'autre à dire que cette respiration qui ne sait pas s'arrêter. Tous les mots de plus ont été des mots de trop. Des mots utilisés pour le plaisir. Pour la frime. Des mots utilisés pour montrer que je sais les utiliser.

Savoir utiliser les mots assez bien pour ne plus avoir à les utiliser. Ou en tout cas pour les utiliser moins. Juste ce qu'il faut. Ne plus les laisser sortir aussi facilement de moi. Avoir le rythme de la suite des mots à l'intérieur. Garder le même rythme de la suite des mots mais à l'intérieur. La connexion et la création. Garder ces petits mondes en avant."